Trois miracles et demi

Des vaches le regardaient de haut alors qu’il s’échinait le long d’un chemin abandonné et envahi par la végétation nouvelle. Il ne se ferait jamais à ses interludes champêtres. Le confort, il savait à peine ce quoi il s’agissait mais était-il diable possible de vivre dignement sans pavés sous les pieds ?

Et ces fichus bovidés ! Il agita vigoureusement la tête. D’en haut. Elles le regardaient d’en haut.

Eh puis, avait-il jamais vu une vache sauter ? Bien sûr que non. Cette simple idée le terrifiait. Il n'aimait pas beaucoup les animaux. De quatre à huit pattes, ils l'effrayaient, tout au moins. Au-delà, il se refusait à croire que cela put entrer en cohabitation avec des dieux bienveillants…. Mais oui… Cette ombre noire au loin. Toit ! Toit devant ! Le frisson de joie simple qui le parcourut manqua de lui faire tourner la tête vers le marmot qui lui collait aux basques depuis plusieurs semaines pour la partager avec lui. Il se ravisa bien vite et força plutôt le pas. Le retour à la civilisation n’attendrait pas.


Castor était toujours étonné par la vélocité dont faisait preuve le vieil homme. Il ruminait. La pluie semblait avoir douché sa colère et il n'en restait plus à présent que de sombres nuages qui le suivait. Castor pouvait les voir s'amoncelait au-dessus du petit bonhomme. Ils pesaient sur ses épaules.


Les deux voyageurs étaient arrivés en milieu d'après-midi, éreintés comme si des bandits ou pire, la milice, étaient à leurs trousses.

Le plus jeune avait échangé avec Atre un regard entendu. Il fallait laisser le vieil homme tranquille. Il n'y aurait aucune débauche de luxe à attendre de l'établissement. La propreté n'était manifestement pas même au titre des plus élémentaires. Le plus vieux, de son côté, avait traversé l'établissement, ne demandant à voix basse qu'un baquet d'eau chaude pour son bain. Atre beugla quelques mots. Des bruits se firent entendre. L'auberge se mettait en branle pour ses clients. Une chambre simple ? Avec deux lits ? Oui m’sièr. Un couvert seulement pour ce soir, m’sièr ? Il mange-t-y pas le ptit sièr ? Non pour sûr, ce n'sont pas mes affèr’.


Castor observait la misérable scène qui se déroulait sous ses yeux. Dans l'eau tiède, les pans de saleté se décollait du corps de Bourdon. L'arrière de son crâne dépassait à peine du baquet de bois. Castor ne savait dire s'il dormait ou s'il fixait le lointain et son ciel de nuages blancs, presque jaune pâle. Castor allait souvent à l'Eglise. La plupart du temps, il se disait même qu'il y allait pour deux, pour donner un petit coup de main à Bourdon, pour ses miracles. Au cas où. Il n'avait jamais vu le vieil homme se rendre dans quelque lieu de culte que ce soit. Jurer, en revanche, comme pas deux. Des flots d'infamie, plus vertes que le bois jeune. Cependant, il aurait mis sa main à couper, s'il n'en avait pas eu tant besoin, Bourdon n'avait jamais, ô grand jamais, tourné le dos à une église ou à une sainte statue. Alors quoi ? D’où viennent donc les miracles? De quel saint patron ? Et quand donc Bourdon fait-il ses libations ? Pourquoi cette révérence presque craintive vers des lieux où jamais il ne semble mettre le pied ? Qu’il soit un homme timide passe encore mais Castor ne supportait pas qu'il récompense sa propre dévotion par tant de secrets.


Quelle maigreur… Le corps de l’enfant bosselait à peine les draps. Comment allait-il bien pouvoir faire ? Il ne pouvait décemment pas la laisser dans cet état ! Il fouilla les armoires de la chambre… Un comble si une fille de berger ne possédait pas ce genre de vêtements… Des gouttes perlaient de ses tempes, l’angoisse s’ajoutant aux températures extérieures pour le délester de son jus.

Après de nombreuses frayeurs, bénignes pour la plupart, il finit par mettre la main sur l’objet de sa convoitise. Il le fourra sans autre de procès dans son sac et sortit discrètement de la masure. Il en fit le tour et revint sur ses pas, taper à la porte. Une femme lui ouvrit. Sur son visage se lisait indistinctement tristesse et fatigue. Bourdon le savait, il était à la bonne adresse.

« Madame, je me présente à vous car je pense pouvoir vous aider à surmonter le malheur qui afflige votre famille. Je me nomme Bourdon et je possède le pouvoir de guérir. Celui qui me guide a mis cet objet sur ma route et m’a mené jusqu’à votre maison. » Sans emphase, Bourdon sortit le chandail abimé de sa besace et le tendit à la femme qui le regardait à présent avec crainte et espoir. Il reprit la parole pour ne pas lui laisser le temps de réfléchir trop longtemps à la situation. Seul le désespoir devait l’empêcher de voir l’ineptie de la situation.

« Puis-je vois la personne malade, je vous prie ? Je pense que, pour son bien, le plus tôt sera le mieux. » Il poussa doucement la porte et entra précautionneusement. Inutile de brusquer la pauvre mère, manifestement sous le choc. Il indiqua l’étage, elle acquiesça.


Il s'avança dans la petite paroisse à demi effondrée. Qu'allait-Il encore leur inventer ? Ces gens avaient bien besoin d'un miracle. Et aux regards méfiants et las, qu'ils lui lançaient, ce n’était pas le moment d'être à court de faits incroyables. Il avait toujours trouvé les prêcheurs virulents un peu suspects et apprécié la simplicité avec laquelle Bourdon se fondait parmi les foules les plus modestes. Un regard qui croisait celui du plus nécessiteux.


Frotte, frotte, frotte Souffle dont Éole péteux, souffle !! Va-t-en fichu nuage de mes deux. Dieu foutrassié ! Si je t’attrape, je vais te faire pleurer, moi ! Et bougre de soleil, pointe-toi fissa manant pieds nus ! Comment voulez-vous faire quelque chose avec une guenille pareille ? Ce n’est pas un chandail, c’est un torchon ! Il manquait en effet d’emporter une maille à chaque mouvement. Et cette enfant… Le miracle c'est qu’elle tienne encore au bout de son cou !

Alors maintenant, diable de Ra, montre-toi ! Si tu ne le fais pas pour moi, fais le pour elle ! Ne vois-tu pas le calvaire qu’elle endure, à se faire tripatouiller ainsi la carcasse en attendant ton bon vouloir ? Allez, un beau geste ! Montre-toi ! Il était sans doute heureux que, pour une fois, pareil langage ne quitte pas ses lèvres.


Castor aurait voulu être luthier. Caresser le bois comme d'autres les femmes. Aussi ne voyait-il pas bien ce qu’il faisait, allongé en chien de fusil, sur ce sol bardé d’échardes vicieuses. Assurément, aucune essence n’aurait subi pareille dégradation sous ces mains ! Ô éclisse ! Ô mort… Un faisceau de lumière aveuglante se déversait sur la jeune enfant. Les mains de Bourdon s’étaient soudain écartées de sa tête et ses épaules où elles s’affairaient depuis de longs instants, cachant entièrement la frêle silhouette aux regards de Castor. A présent, le petit bonhomme s’était reculé pour laisser à tout le monde le soin de constater le nouveau miracle qui se produisaient devant leurs yeux : une auréole dorée ondoyait doucement autour du crâne de la jeune fille. La peau translucide de la malade prenait à présent un éclat nouveau et agréable, doucement rosi par la chaleur du soleil de juin.


Un faisceau de lumière aveuglante se déversa sur la jeune enfant. Bourdon avait allègrement frictionné le chandail rapiécé du bas du dos à la nuque. Ses mains s'écartèrent enfin, laissant apparaître une auréole de cheveux fins et dorées, autour du crâne de la petite fille. Le rai de lumière choisit cet instant précis pour révéler l'aura, jusqu'à présent insoupçonnée de la malade. Les visages de l’audience s’éclairèrent d’un espoir aux profondeurs insondables, prenant à présent un éclat nouveau.

On ne pouvait pas dire qu’il avait volé son miracle.

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